La pensée linéaire vs systémique.
- Florian BEURTEY
- Mar 24
- 6 min read
Updated: Apr 21
Résumé de l'article : Nous avons tendance à simplifier le réel pour mieux le comprendre. La pensée linéaire, intuitive et rassurante, découpe le monde en causes et effets simples. Mais face aux défis du climat, de l’énergie ou de la société, elle atteint ses limites. La pensée systémique, plus exigeante, embrasse les interdépendances, les rétroactions et la complexité du monde. Elle ne promet pas des solutions immédiates, mais des réponses durables. Ce changement de posture intellectuelle est aujourd’hui indispensable.

« On préfère une belle histoire à une réalité dérangeante. »
I) La pensée linéaire, notre réflexe naturel
Nous aimons les choses claires, nettes, accessibles. Une cause = une conséquence. Un problème = une solution.C’est fluide, presque poétique. Ça demande peu d’énergie cognitive. Et surtout, ça rassure.
La pensée linéaire nous dit :
"Il fait chaud ? C’est juste l’été."
"Il y aura toujours une solution technologique."
"C’est aux autres de changer."
La pensée linéaire rassure. Elle rend le monde intelligible, presque poétique.Elle segmente, simplifie, isole.Mais ce faisant, elle trahit. Elle gomme les liens, les interdépendances, les dynamiques cachées.Elle nous protège de l’effort mental, mais nous éloigne de la réalité.
II) La pensée complexe, un effort solitaire
Comprendre le monde tel qu’il est — non tel qu’on voudrait qu’il soit — suppose un effort.Un effort intellectuel, émotionnel, presque existentiel.
La pensée complexe ne cherche pas une cause unique, mais un système de causes. Elle refuse les réponses toutes faites, les slogans séduisants. Elle relie. Elle contextualise. Elle embrasse les tensions et les paradoxes.
Comme l’a écrit Edgar Morin, père de la pensée complexe :
« Il faut apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitudes. »
Penser complexe, c’est accepter que plusieurs choses soient vraies en même temps.Que les solutions engendrent parfois de nouveaux problèmes.Que la réalité n’est pas linéaire, mais systémique, multi-échelle, évolutive.
La complexité, c’est aussi l’humilité
En science, dire « je ne sais pas » n’est pas une faiblesse. C’est un marqueur de rigueur.Mais dans l’espace public, cette posture dérange. Elle laisse place au doute, à l’ambivalence, à la nuance — là où la société réclame des positions fermes, des opinions tranchées, des certitudes immédiates.
Ainsi, la pensée complexe est souvent solitaire, voire inconfortable. Elle ne flatte pas l’ego. Elle demande du recul. Parfois, elle nous confronte à l’impuissance, à l’angoisse du temps long. Et pourtant… c’est d’elle que naissent les solutions durables.
L’écologie comme champ d’exercice de la complexité
L’écologie — au sens profond du terme, c’est-à-dire l’étude des interactions entre les êtres vivants et leur environnement — incarne la pensée complexe par excellence.
Impossible d’isoler une cause, un levier, une solution miracle.Tout est interconnecté : climat, énergie, biodiversité, économie, sociologie, psychologie collective, géopolitique.
Vouloir réduire cela à un geste individuel ou une solution technologique, c’est comme vouloir expliquer une équation différentielle avec une règle de trois.
Penser complexe, c’est donc une forme de courage.Celui de regarder le réel sans filtre, sans fuite, sans fable. Et d’y puiser non pas la peur… mais la lucidité active.
III) Climat : le prix du refus de complexité
Il est des vérités qui, parce qu’elles dérangent l’ordre établi, suscitent le déni plus sûrement que le débat. Le changement climatique appartient à cette catégorie. Non qu’il soit contesté par manque de preuves — la science, depuis des décennies, en dresse un tableau rigoureux, documenté, sans équivoque. Mais parce qu’il exige une redéfinition de nos modes de vie, de nos priorités, de notre rapport au monde, il heurte des attachements invisibles : confort, croissance, liberté individuelle, illusion de maîtrise.
Alors, souvent, au lieu de penser, nous simplifions. Au lieu de relier, nous réduisons. Au lieu d’agir en conscience, nous espérons un miracle. On entend :
« Il suffit de rouler électrique. »
« L’innovation technologique réglera tout. »
« Les petits gestes feront la différence. »
Ces affirmations rassurent. Elles évitent le trouble.Elles évitent surtout de remettre en cause ce qui, en profondeur, structure notre société : la vitesse, l’accumulation, l’exploitation du vivant comme une simple ressource. Mais le climat ne répond pas à la logique du simple et de l’immédiat. Il est l’expression d’un système vivant, global, fluide, en perpétuelle interaction. Il ne s’agit pas d’un “problème” à résoudre, mais d’un symptôme — celui d’un monde qui a rompu ses équilibres.
Penser le climat exige alors autre chose qu’un ajustement technique.Cela exige une pensée capable d’embrasser l’ensemble — énergie, agriculture, transport, urbanisme, politique, culture, spiritualité.Une pensée qui accepte le paradoxe, l’incertitude, la lenteur, l’effet différé.Une pensée systémique, contextuelle, mature.
Mais cette pensée est contre-intuitive. Elle heurte nos habitudes mentales, façonnées par la recherche de causes uniques, de solutions rapides, de récits linéaires.Elle nous oblige à désapprendre pour mieux comprendre.
Et cette exigence dérange. Elle ralentit. Elle met mal à l’aise.Alors, on préfère la fable au réel.On préfère l’espoir technologique à la transformation politique.On préfère l’indignation sélective à la lucidité collective.
Pourtant, le prix du refus de complexité est lourd. Ce n’est pas le chaos qui menace — il est déjà là, par endroits.Ce qui se joue désormais, c’est notre capacité à retrouver du sens, de la cohérence, une orientation profonde face à l’effondrement des repères.
Il ne s’agit pas d’avoir peur, mais d’ouvrir les yeux.Penser complexe, c’est refuser la fuite en avant.C’est oser regarder le monde tel qu’il est, non pour s’y résigner, mais pour mieux y habiter.
IV. De la linéarité vers le système : le cas de la Fresque du Climat
Penser systémique ne signifie pas abandonner toute structure logique ou toute pédagogie progressive.Au contraire, il s’agit souvent de partir de ce que nous savons faire — relier une cause à un effet — pour peu à peu élargir notre champ de vision et faire émerger une compréhension globale, transversale, vivante.
C’est précisément ce que propose la Fresque du Climat, un outil aussi simple dans sa forme que puissant dans ses effets. Concrètement, il s’agit d’un atelier collaboratif, fondé sur les données du GIEC, où les participants doivent, en équipe, reconstituer les liens de causalité qui sous-tendent le dérèglement climatique. D’une carte à l’autre, d’une flèche à la suivante, on suit une logique linéaire :l’émission de gaz à effet de serre entraîne un déséquilibre radiatif, qui réchauffe l’atmosphère, qui modifie le cycle de l’eau, qui impacte les écosystèmes, qui bouleverse les sociétés…
Mais ce qui émerge peu à peu c’est une cartographie vivante, complexe, où chaque élément renvoie à plusieurs autres, où les effets deviennent à leur tour des causes, où les interactions forment un tout .Autrement dit : la Fresque, en partant d’une pensée linéaire, initie une bascule vers la pensée systémique.
Elle permet de voir les chaînes invisibles, de ressentir l’ampleur des interactions, de comprendre sans être noyé, et surtout de sortir du déni sans sombrer dans la panique. Elle donne une forme au chaos, un langage au désordre, une structure au vertige.
Mais son véritable pouvoir est ailleurs : dans l’émotion partagée qu’elle suscite.Ce moment, presque silencieux, où les cartes ne sont plus des données abstraites mais des fragments de réel, où l’on comprend — par le jeu, par l’échange, par l’écoute — que le climat n’est pas une question d’environnement, mais de civilisation.
En cela, la Fresque est bien plus qu’un outil pédagogique.C’est un rituel de passage, un déclencheur d’éveil, un pivot cognitif entre l’ancien monde — linéaire, cloisonné, "technosolutionniste" et le nouveau, encore incertain, mais déjà tissé d’interdépendances et de responsabilités.
V/ Et si on changeait de posture ?
Il ne s’agit plus d’opposer des solutions rapides à des réalités profondes, mais bien de changer notre manière de penser. La pensée linéaire, héritée de siècles de rationalisme productif, nous pousse à découper, isoler, hiérarchiser. Elle rassure car elle réduit : un problème, une cause, une solution. Elle fonctionne dans un monde stable, aux règles claires. Mais ce monde n’existe plus.
La pensée systémique, elle, invite à une autre forme de lucidité.Elle ne cherche pas une explication unique, mais une compréhension en réseau.Elle relie les phénomènes entre eux : ressources, énergie, économie, culture, représentations.Elle intègre les temporalités longues, les boucles de rétroaction, les effets inattendus.Elle n’est ni floue, ni molle : elle est rigoureuse, exigeante, profondément ancrée dans le réel.
Changer de posture, c’est passer d’une logique de maîtrise à une posture d’écoute active.C’est reconnaître que toute décision s’inscrit dans un tissu de conséquences.C’est accepter de ne pas tout contrôler, mais choisir de comprendre — pour mieux orienter.
Chez Volta Executive, nous faisons de cette posture systémique une boussole. Nous ne recrutons pas pour colmater les brèches, mais pour accompagner les mutations. Nous aidons les entreprises à constituer des équipes capables de naviguer dans l’incertitude, de relier les savoirs, d’imaginer autrement.
Les talents que nous plaçons sont des femmes et des hommes capables de penser interconnexion plutôt qu’exécution, transition plutôt que simple adaptation, résilience plutôt que croissance à tout prix.
Parce que les défis à venir — énergétiques, industriels, humains — ne seront pas résolus par une pensée linéaire, mais par une intelligence systémique, collective et engagée.
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